La nature dessine magnifiquement, c'est à n'en pas croire ses yeux. Prenez un chat (je prends exprès cet exemple parce que je sais que le chat est un objet de vénération à la Campagne à Paris, le Tambour - journal du quartier - ayant déjà célébré ces ravissantes pupuces), un cheval, une feuille, etc. Bien sûr, l'homme blanc est persuadé que c'est lui qui dessine le mieux, aussi personne ne vous dira que la nature dessine bien. Tant qu'à faire, il a décrété que la nature ne dessinait pas. D'ailleurs, c'est comme çà qu'on définit la nature : l'homme dessine, la nature, non. Évidemment, cela ne trompe personne. Il y bien longtemps que l'on sait que l'homme blanc donne les définitions qui l'arrangent, et qu'il prouve qu'il a raison grâces à ces définitions.
Non seulement elle dessine, mais elle peint avec une grâce exquise. Il suffit de regarder un papillon, même banal comme nos piérides du chou qui traversent souvent nos jardins de la Campagne à Paris, pour s'en convaincre : ce jaune vanille, finement moucheté de noir, allant au blanc pur marqué par une tache noire, ce corps blanc-vert poudré comme un courtisan, n'est l'oeuvre d'aucun artiste, mais c'est indubitablement une œuvre. Et je ne parle pas de l'équilibre parfait des courbes des ailes, rondes sans être rondes, qui est au dessin du monde animal ce que le stradivarius est au dessin du violon: une merveille d'équilibre.
Ainsi, les papillons sont la preuve que ce n'est pas nous, mais la nature qui a inventé le beau. D'aucuns diront que la nature est incapable d'apprécier le beau, alors, quelle signification cela aurait-il pour elle, et dès lors, comment l'aurait-elle inventé ? Regardez une fleur, et regardez un papillon, et voyez avec quelle précipitation il se jette sur elle. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit là un acte d'amour, de copulation amoureuse, et de volupté totale, dans laquelle est entrée, dans cette attirance joyeuse et ce contact prolongé, la jouissance de leur réciproque beauté ?